(Carl Larsen)

Philosophie de l'attente

J'attends, je retrouve ma philosophie de l'attente ...

Attendre que le dépot se fasse dans le fond de la bouteille, qu'à l'entrée du goulot je puisse distinguer le bon vin de la lie avant de m'y engager sans risquer de me noyer dans l'opacité, sans me laisser aller trop tôt à une âpre ivresse alors que l'attente me la fera peut-être trouver douce au final ...

Dissimulé dans les broussailles de touffus sous-bois je guette le lendemain qui me verra rejoindre le chemin de mon avenir ... en attendant ce jour je chemine sereinement à l'ombrage des frondaisons sylvestres, longeant ce sentier trop voyant, trop observé par ceux qui le croisent quotidiennement. Lorsqu'il quitte la lisière je le rejoins le temps d'y aligner à nouveau mon pas, repréciser ma silhouette aux regards curieux et inquisiteurs; au grand jour pour un jour ...

Ce n'est pas rester en place à attendre que les choses m'arrivent cahotantes et haletantes et veuillent bien me prendre en stop pour filer vers l'eden du lendemain ... c'est simplement adopter un pas mesuré, ne pas le précipiter, ne pas trop le ralentir, savoir l'harmoniser aux couchants et levants afin qu'il s'éveille avec l'aube et s'endort avec le crépuscule, qu'il chemine les jours et rêve les nuits ... qu'il ne cerne mes regards à trop vouloir gagner du chemin sur les heures nocturnes, qu'il ne me trouve encore assoupi à la première heure où l'astre m'offre le tableau d'étendues célestes pastels ...

Je m'eclipse simplement discrètement pour ne pas sentir les regards pesants juger la direction et le sens de chacun de ces pas ... peu me chaut de les décevoir, de les frustrer, de les agacer pourvu qu'ils ne s'abîment ni ne se blessent ... la mort douce qui engourdit puis assoupit ... ils s'endorment avec l'essentiel, c'est tout ce qui m'importe, qu'ils ne détruisent ce que nous avons déposé ensemble de bon, de beau en eux ...

Je n'ai pas cette fierté de vouloir tout pour moi dans l'instant, je peux m'incliner, courber l'échine en apparence pour préserver ma dignité et ma volonté de la violence de l'impulsivité jusqu'au jour où je me redresse pour reprendre ma place sur l'horizon, celle que j'ai aménagé de loin par la patience plutôt que de l'avoir taillée dans le vif par la force ou la violence.

Je ne suis pas un inconditionnel des raccourcis, je sais apprécier la sérénité d'un petit sentier sauvage, égaré, qui rejoindra doucement la route principale, même s'il faut pour cela cheminer plus rudement ou plus longuement ... qu'on me dise qu'ainsi je passe à côté des choses, je répondrais qu'ainsi les choses me passent simplement à côté et que pour ces choses impatientes je n'ai l'envie de m'éreinter à la course ...

Mon attente se nomme simplement patience ...

* La Muette - Yann Tiersen *