Me voilà rentré ... plus de téléphones aux sonneries impatientes et tonitruantes, plus ce stress omniprésent et palpable, plus cette expression hystérique d'un monde en mouvement perpétuel ... mais toujours les violons et le piano de Bach, Mozart, Beethoven pour guider les pensées qui se bousculent au portillon à travers les les constructions de mes écritures.
Je repense au dernier texte de Barjac et à cette question de conscience intellectuelle qu'il évoque lorsqu'il porte un regard sur ceux que la grâce d'une prose romantique n'effleurera jamais, ceux qui ne vivront jamais sous l'égide de concepts intellectuels, littéraires, artistiques ...
Je dis bien sous "l'égide" parce qu'au fond j'ai le sentiment que nous sommes le produit d'une société profondément élitiste sous couvert de tolérance et altruisme ... notre éducation, notre démocratie, notre système tout entier sont les produits d'un élitisme inavoué et hypocritement affublé du costume de l'altruisme.
Tous les jours nous sentons comme l'égalité est déjà une valeur qui fait défaut à notre éducation et dans l'accès que chacun a à celle-ci ...l'égalité n'est pas un dû dans notre société mais une opportunité donnée à ceux qui se la ménageront à coups de dents et griffes. Nous sentons également comme cette égalité n'est garantie que dans un système clos qui inclue ceux qui y sont nés, ont grandi avec et au travers de lui. Comme le disait Machiavel : le but n'est pas tant de ménager cette égalité que de la laisser miroiter comme un acquis; une façon de dire à chacun qu'il est le seul responsable de sa situation ... comment s'étonner que dans un système qui donne chacun comme responsable de son errance, il y ait une telle dépréciation de l'individu ? Entre ceux qui profitent d'un système parce que les conséquences de leurs actes ne seront pas directement visibles et lèseront un anonyme lointain, et ceux qui n'ont de cesse de souffrir de leur anonymat, à se tenir responsable du moindre de leurs maux, à chercher dans leur enfance, en eux les raisons d'un malaise de société parce qu'on leur aura dit que le système est juste et par conséquent qu'ils sont les seuls fautifs de leur mal-être.
On brandit Droits de l'Homme, justice, valeurs républicaines et tout leur cortège de bonnes pensées humanistes avec un altruisme prétendu qui met les politiques à "l'écoute du peuple" dans une parodie caricaturale du bon samaritain ... mais par derrière on entretient un élitisme tant intellectuel que culturel et politique ... les représentants du peuple sont des énarques, les patrons des polytechniciens et nos intellectuels issus des écoles prestigieuses payées par des parents généreusement pourvus ... après avoir voulu donner généreusement l'éducation à tous on décide aujourd'hui, d'une façon cynique de recreuser l'écart entre le manuel et l'intellectuel et d'abêtir les classes moyennes qui avaient réussi, en un siècle, à accéder à un esprit critique et à un savoir généraliste. Le savoir utile étant seul récompensé, les classes moyennes finissent par n'avoir de culture plus que dans les domaines qui leur offriront l'accès au vaste tissu bureaucratique qui avale goûlument des masses incalculables d'étudiants pour les parquer derrière un clavier avec comme tâche de graisser le monstre de paperasses qui s'étouffe dans les procédures, règlements, délais ...
Le résultat en est qu'aujourd'hui on a une classe de gens aisés et éduqués qui place les valeurs républicaines démocratiques et les valeurs chrétiennes dans une phrase sur deux tout en méprisant ou ignorant allègrement la réalité toute différente qui se cache derrière ces préjugés. On a une classe moyenne à laquelle on laisse miroiter l'accès à une culture égalitaire mais qui se retrouve frustré dans sa réalité de vie par rapport aux exigences et promesses intellectuelles que contenaiit son éducation. Enfin on a une classe sociale "défavorisée" qu'on ne s'encombre plus de diriger ailleurs que directement dans les formations manuelles (tant dévalorisées que défavorisées). Nous revenons à grands pas vers une aristocratie dominante, une bourgeoisie frustrée et corrompue par son avidité à accéder aux même privilèges que la "noblesse" et enfin le bas peuple, la "France d'en bas" qui retourne à l'esclavage moderne légalisé et légitimé ...
Pourquoi cette réflexion sur l'élitisme ? Parce que j'ai le sentiment que je fais partie de cette classe moyenne qui se sent agressée, méprisée et refoulée ... je fais partie de cette classe de gens qu'on a habitué à un esprit élitiste mais auxquels on nie toute prétention d'individualité. Je fais partie de ceux qui rêvent haut mais tombent bas parce qu'ils veulent le trône sans gravir les marches glissantes et avilissantes qui y mènent. Je fais partie de ceux qui abritent un esprit colonialiste et ethnocentriste derrière un humanisme bien-pensant, ceux qui parviennent presque à se convaincre qu'ils feront de l'humanitaire cette noble cause qui les fera échapper à l'hégémonie du système libéral. Aujourd'hui je me rends compte que je n'ai pas vocation à m'immerger parmi les nantis parce que mon élitisme me fait aspirer à une reconnaissance intellectuelle ... ce n'est pas que je rêve de voir mon nom gravé en lettres d'or sur un monument parisien mais plutôt que j'aspire à une reconnaissance de ce savoir que j'ai pu acquérir, que j'aspire à ce qu'il ait la place qui lui convient sous peine d'être frustré et aigri à terme.
Aujourd'hui je me retrouve donc comme beaucoup, pris au piège entre des valeurs humanistes et égalitaires et un élitisme intellectuel ... dans cette indécision fainéante de l'esprit qui se refuse au travail répétitif ingrat d'une part et à la poursuite d'une fin intellectuelle qui justifierait tous les moyens d'autre part. Au final je me sens totalement décalé et je ne vois que l'art comme issue honorable et en accord avec ce que je suis. Arrivé à ce point il ne me reste plus qu'un dernier dilemne : le renoncement à un confort auquel j'ai également pris l'habitude au profit d'une vie d'artiste sans le sou mal sapé ou ma petite place dans un bureau ad vitam eternam, à torcher mes 35 heures entre stress et frustration pour pouvoir profiter des week-end et 5 semaines de congés annuels.
Toute mon énergie s'emploie en ce moment à imaginer un compromis heureux entre tous ces horizons ou à envisager une remise en cause fondamentale de la notion même d'existence au sein de cette société.
Pour reprendre mon sous-titre et conclure cette réflexion, je dirais que j'exècre le "sur-homme" de Nietzsche mais que je tente paradoxalement de m'extraire de son "humain trop humain" ... fierté de celui qui ne veut pas s'avouer son orgueil ou honte de celui qui se sent trop humain par rapport à ses ambitions ?
Je n'ai pas de réponse ... sans doute suis-je trop multiple pour m'aventurer à y répondre ...
(Réflexion à suivre)