"Quand le temps s'arrête il devient lieu"
Chawki Abdelamir
C'est une belle phrase ...
Les instants de pur bonheur comme ceux de profonde tristesse abolissent parfois le temps pour nous faire sentir pleinement le lieu de l'émotion présente en des instants d'éternité.
C'est surtout tellement vrai pour ce que je vis aujourd'hui ... je fais fi du temps qui passe, je ne prends garde à ces heures menaçantes qui défilent et signifient tout ce que j'omets de faire; il y a seulement dans les instants de lucidité cruelle que je prends conscience du temps qui s'écoule dangereusement ...
Aujourd'hui je me suis arrêté dans ce lieu qu'est Paris en faisant le pari insensé de défier le temps, de construire une vie sans délais, sans échéances, sans précipitation, avec lenteur et paresse souvent même. J'ai vécu des années sans pied à terre véritable, sans ce chez-moi qui me soustrairait à l'angoisse d'un temps qui passe, j'ai vécu ces heures, semaines, mois vides et longs, où chaque minute est pleinement ressentie dans son gâchis, dans sa vanité ...
Nous avons une vision tellement déterminée et conformée du temps qu'une grande partie de qualité de vie dépend de l'organisation de ce temps; nous avons tellement l'habitude d'un temps fragmenté qu'il nous apparaît comme une tectonique de plaques qui se chevauchent allègrement et nous entraînent dans leurs secousses sismiques : notre agenda, notre calendriers superposent els activités, les rendez-vous, les évènements comme si l'obsession de rentabilité était devenue une devise nécessaire d'un "monde en mouvement".
Quo vadis ? Mais où vas-tu ainsi ?
Tu cours, tu cours mais tu n'es que rarement satisfait, rarement comblé par un temps qui a posteriori ou a priori te parait toujours trop court ou trop long. Dis-moi quand tu comptes t'arrêter de courir en cherchant l'eden à l'horizon comme les conquistadors quêtant les trésors des amériques ?
C'est absurde cette course de vitesse autour de l'érection d'une société du plus et du mieux, véhicule du sacro-saint progrès. Le résultat en est une frustration constante de tous ceux à qui on conseille sans fin de profiter mais qui de fait ne voient d'autre alternative pour y parvenir que le profit.
Je tente en ce moment de trouver la réponse à mon conditionnement propre dans cet esprit de rentabilité, je cherche à m'extraire de cette obsession de remplissage qui voudrait que les heures soient perdues si elles ne sont employées à bâtir els édifices de mes envies ... l'éloge de la paresse de Moustaki me pousse à m'interroger sur la recherche d'un juste équilibre entre une nécessaire paresse assumée et non honteuse d'elle-même et la construction parallèle patiente et non précipitée d'un avenir à la mesure de la motivation ...
Je ne veux pas passer ma vie à courir après les années, les mois, les semaines, les heures avec l'idée fixe que je devrais produire quelque chose pour vivre heureux. Cette production doit venir d'elle-même en un temps et une heure choisis pour les recevoir et non être forcée par la hantise du temps perdu.
Je dois encore réfléchir de façon plus approfondie à cette question de temporalité, parce que je dois avouer que je ne suis pas encore pleinement convaincu des arguments donnés cidessus quand je perçois intuitivement que j'ai malgré tout certains impératifs que j'aimerais honorer; je pense que le meilleur compromis serait de convenir aux délais extérieurs indépendants de ma volonté et de faire preuve d'indulgence à mon égard en ce qui concerne mes projets personnels qui, s'ils s'attardent, devront simplement être assumés dans les conséquences du report.
Cette réflexion somme toute assez frileuse aura au moins eu le mérite d'amorcer ma motivation de la journée et me soustraire à l'environnement du travail durant une petite heure (sans aucune arrière-pensée de rentabilité naturellement !).
Wait, think and see ...