Songe, faut qu'on s'explique !!! (le 03/10/03)

Je me suis assis face à moi-même et me suis regardé bien en face, avec un de ces regards pénétrants qui vous disent "n'essayes surtout pas de t'esquiver cette fois-ci !". Mais vous savez, je crains que ce Songe ne soit indécrôtable, qu'il ait toujours un mot pour se justifier d'une pensée. Mais je commence à le connaître et il sait que face à moi il aura beau chercher la porte cochère qui donnerait sur la rue arrière, il devra laisser sa dignité au vestiaire s'il advenait qu'il choisisse le ventre-à-terre. Lui et moi on est un peu vieux couple qui, las de se disputer, a choisi le silence comme médiateur ... avec le temps on a appris à passer outre ces insupportables manies, habitudes qui ont cette fâcheuse tendance à grignoter sur les notres (c'est vrai quoi ! C'est intolérable qu'un espace où l'on se laisse aller à ses mauvaises habitudes soit envahi par celles des autres; comme si notre mauvaise conscience ne suffisait pas !). Mais Songe, lui, il a malgré tout de ces habitudes un peu excentriques auxquelles je n'arriverais jamais à me faire et dont je crains qu'il ne soit pas prêt de se défaire. Il parle, il parle, il parle, son écriture, ses paroles envahissent chaque petit recoin du living, vont se vautrer jusque dans la crasse de la cave et la poussière du grenier ... il n'admet pas qu'il y ait quelque parcelle de notre espace qui échappe à un de ses bons mots. Mais entre nous, je crois qu'il doit avoir une sainte horreur du ménage et que pour chaque grain de poussière il ressent ce besoin d'en justifier la présence. Mais s'il se contentait de se vautrer dans la fange de sa volubilité, j'aurais pu fort bien m'en accomoder en investissant dans de luxueuses oeillères mais à cela s'ajoute le fait qu'il éprouve ce besoin maniaque de se livrer à un frénétique inventaire de chaque défaut que comprendrait le mobilier ... me voilà à peine abandonné à la complaisance d'un instant livré aux voluptés du sofa, que cet hystérique vient me secouer pour m'asséner une leçon des plus soporifiques et doctrinales sur l'indécence qu'il y a à appuyer sa paresse sur un meuble dont les pieds sont instables et sur l'urgence qu'il y aurait à prévenir l'accident par un rafistolage immédiat. Vous vous rendez compte ! il ne se passera pas un moment de ma journée où je ne doive justifier le fait que j'ose trouver du confort à vivre dans un habitat où il demeure des courants d'air, des fuites d'eau, des fissures aux murs et je ne sais quelles potentielles catastrophes larvées.

Mais bon, il y a des limites à tout ! Comment envisager que qui que ce soit prenne plaisir à s'attarder dans notre demeure si le brave Songe, empli de bonne volonté, tentera de lui faire avaler les dix volumes de l'encyclopédie du "je n'omet rien" ? A peine ferais-je un sourire que monsieur me mumurerait à l'oreille "mais es-tu bien conscient de ce que tu fais ?" et moi, quelque peu ébranlé par sa paranoïa perpétuelle, au lieu de conserver ce sourire pour mes hôtes et de me tourner vers mon colocataire en lui répondant par un simple "je souris", je commence à lui laisser du terrain et il finit par prendre un aval dans la conversation qui tourne à la digestion d'une forêt noire après un festin de nouvel an.

Alors aujourd'hui je dis "stop" aux problèmes de Songe ! Non mais, il finit par m'étouffer à force ! Alors maintenant soit il range sa lourdeur biblique au placard soit c'est lui que j'y range à défaut de pouvoir le jeter définitivement par la fenêtre du premier (il retomberait certainement sur ses pattes et reviendrait aussitôt à la charge par la grande porte avec l'argument de maltraitance, d'indignité, d'egocentrisme qui auraient à terme raison de ma bonne conscience et me conduiraient sans nul doute au tube de prozac). Bon j'ai l'impression de lancer encore un de ces ultimatums du dimanche qui expirent le lundi midi mais cette fois-ci je vais essayer de ne pas me contenter de faire confiance à la mine penaude du songe qui me dira qu'il mettra une muselière; c'est un peu comme le tri séléctif, on s'embête à distribuer les ordures ménagères entre 150 sacs plastiques pour finalement les voir brûler toutes dans le même incinérateur, au bout du compte tout ce qu'on obtient c'est quelques nuages de carbone en plus dans notre ciel ... on finit toujours par se retrouver pollué !

Mais cette fois-ci j'ai envie de trouver un chemin de discussion entre nous; ça fait un moment qu'on a pris cette habitude d'esquiver le problème en se disant qu'il trouvera tout naturellement sa solution demain mais je crois que le problème provient essentiellement de cette mauvaise volonté mutuelle de notre part ! Il n'est jamais bon de laisser des silences prendre autorité dans nos relations ... je l'ai donc gentiment prié de s'asseoir et de prendre le temps de s'expliquer, de me faire l'aveu de ses torts comme de ses prétendues qualité afin que nous sachions tous deux la vision de l'autre au lieu de s'enfermer dans de ridicules suppositions, préjugés et a priori (qui oublient de tenir compte de l'évolution de l'autre).

Maintenant on va voir ce qui va sortir de cette confrontation ... je crois que tant que celle-ci n'aura pas été menée à son terme toute entreprise autre sera hasardeuse et éternellement le reflet de celles passées.

Je tiens à remercier le petit diable qui m'a fait prendre conscience de la nécessité de cette discussion ... d'ailleurs, ne vous gênez pas si vous avez quelque chose à dire à mon cher colocataire, lancez-vous et ne l'épargnez surtout pas ! Une bonne douche froide lui fera pas de mal et sera sans aucun doute très bénéfique à notre discussion !