Où vas-tu ? (le 08/10/03)
Je m'arrête ... je me saisis par le bras, me force à m'asseoir un moment au long du trotoir, sur le replat d'un banc et me pose cette question "Mais où vas-tu ?" ...
Mais oui, toi ! Où vas-tu en cet instant monsieur Songe ? A quoi, à qui, à quel objet, à quel sujet vont tes pensées ?
Je te sens perplexe et indécis ... est-ce que de voir, sentir, ressentir et lire la perplexité et l'indécision des autres qui fait naître ce sentiment ?
Il y a quelque chose, là au fond de mon âme, qui ressent quelque chose, qui appréhende et se questionne ...
Les mots me viennent d'habitude au bout des doigts tout naturellement, comme si mon âme s'écoulait simplement sur le clavier ... mais là il y a quelque chose qui ressemble à une immense toile dont je ne saisis pas toutes les ramifications et que je crains de voir m'engluer si je ne garde pas mon oeil le plus attentif dessus. Une toile qui se délite alors que les mots tentent de la fixer ...
"Laisser venir les choses tout en contemplant lucidement leur évolution", voilà ce que j'ai suggéré à Barjac mais il y a quelque chose d'essentiel que je sens m'échapper ... je repense mes journées, je réorganise mes sentiments, j'entretiens ma sérénité mais il y a une immense perplexité qui demeure ...
Je crois que c'est cette impression de voir des gens faire la course, courir pour attraper un train, attraper un rdv, attraper les aiguilles de la montre tout au long de la journée et finalement se sentir comme dans un bolide qui ne laisse voir du paysage plus qu'un fondu indiscernable ... m'arrêter un moment me laisse voir comme la notion d'éphémère, que j'ai intuitivement rajoutée à mon pseudo, se trouve inscrite dans bien des comportements et discours ... "tout passe", "tout est fugitif" ? Oui c'est certain, pour ceux qui se doivent de régler leur pas sur la course, les choses ressemblent à un tiercé où on perd ou gagne relativement à l'investissement. Est-ce la peur que l'immobilité amène avec elle le cortège des choses que l'on s'évertue à semer ? Que ce qu'on laisse derrière soit ne nous rattrape si l'on prend le temps de respirer paisiblement une goulée plutôt que d'haleter ? S'arrêter un moment c'est voir ce qui est arrêté ... or combien de choses sont arrêtées dans le temps et alors qu'un pas rapide nous les fait voir en mouvement ? Je profite de la sortie du nouveau livre de Werber (avis en exclusivité sur le blog de Cc-la-vraie) pour reprendre la description qu'il fait de la vie des fourmis dans son premier livre : on a des fourmis qui ne fonctionnent plus selon un mode temporel mais calorifique; l'intensité de leur activité est entièrement dépendante de la température. Là encore j'en apprend qu'à force de vivre avec montre, calendrier, agendas ... on finit par avoir de la vie une vision très temporelle. Il est évidemment difficile après d'imaginer qu'une personne puisse passer une journée assise dans la même position à tendre le bras ... évidemment qu'imaginer une telle chose est difficile alors que toute notre éducation sociale est bâtie sur "l'occupation" de l'espace-temps ... on remplit avec des "occupations", "passe-temps", "projets", "prévisions" tout l'espace de nos journées. Je me surprend de plus en plus souvent à concevoir ce qu'est une vie détâchée de ces choses qui nous sont tellement familières et conditionnent tellement nos comportements ...
Pourquoi ces préoccupations que beaucoup considèrent comme un casse-tête parfaitement spéculatif et inutile par conséquent ? Parce qu'au fond je saisis comme il est important de toujours prendre un peu de recul ... d'une part parce que je pense que l'évolution d'une société et des gens fait que la pensée, la morale, les idées qui l'accompagnent doivent évoluer avec elle; or ça ce n'est possible que si on prend bien conscience de la nature de chaque chose et de la nature de cette évolution ... et si je ne me trompe, la meilleure façon de faire une observation d'un point mobile c'est à partir d'un point fixe. Ensuite parce je pense que dans une société où c'est l'idée de progrès qui domine (on ne passe pas une minute sans voir "Nouveau" affiché dans les vitrines, les journeaux ou la télé), il faut avoir cet esprit qui inove, qui recherche constament des alternatives pour ne pas stagner dans la marre de ce que rejette le quotidien ... là encore, s'arrêter permet de dévisager les gens, détailler les choses et y voir, par l'association subtile, ces détails qui les relient et qui permettent d'en faire une synthèse complètement nouvelle; c'est ainsi que des idées philosophiques radicalement nouvelles sont nées pour réinterpréter les choses et offrir ainsi une alternative à la manière de les vivre : certains vivent le quotidien à travers une vision réligieuse, d'autres ésotérique, d'autre scientitique, d'autres psychologiques (quoique ces domaines comme toutes choses du monde, sont imbriqués subtilement les uns dans les autres) ... or il y a ce point où toutes ces alternatives combinées les unes aux autres à l'infini ne suffisent plus à offrir une bouffée d'air frais à la société je pense. A ce moment là il me semble essentiel de prendre ce recul qui fait saisir, au-delà de la simple observation, ces mécanismes du monde qui nous donnent une possibilité d'accéder à une nouvelle interprétation ... car le problème d'une interprétation c'est qu'elle est, à mon avis, liée à une époque donc dépendante des pensées et des attitudes de cette époque (je crois que personne n'échappe à son éducation, à un conditionnement social) et a bien du mal à être actualisée à travers les époques suivantes ...
On dit souvent "que reste-t-il à écrire, à inventer ?" ... mais au fond je crois que ce n'est que le signe d'un épuisement sous-jacent d'un système de pensées, de comportements, d'une vision du monde. Et je crois que c'est ce défaitisme du "le monde est pourri, foutu ..." qui découle de tout ça ... mais au fond c'est comme s'il nous manquait un sens et que nous ne voyions le monde qu'à travers les autres. Comment l'aveugle pourrait-il concevoir la vue s'il ne l'a jamais eu ? De la même façon, comment, alors qu'on est habitué à une façon de penser, de raisonner, d'interpréter, peut-on parvenir à concevoir que les choses puissent être autrement ? C'est comme ça qu'on lit des trucs du genre "le capitalisme est le meilleur système politique possible" parce que l'imagination conditionnée est impuissante à dépasser une réalité donnée. Je sens tous les jours comme ce système qu'on me dit "le moins pire" ne correspond pas à ma nature au fond et comme il doit être possible de repenser les choses autrement (on vient toujours nous assomer avec des statistiques et des probabilités mais si on applique ces deux outils à ce que je viens de dire avant, on se rend compte de l'immense quantité de possibilités théoriques d'autres agencements des éléments du monde; l'histoire en est le premier témoin je crois).
Maintenant je tiens, pour ces raisons que j'évoque ci-dessus, à m'arrêter dans le quotidien pour tenter de réagencer autrement tous ces éléments qui constituent ma vie ... vivre autrement c'est voir autrement je pense (c'est "vouloir" voir autrement surtout, comme je le disais en conclusion de mon post d'hier). Pourquoi cet effort qui me dérobe inévitablement beaucoup de vécu ? Mais parce que le vécu que je pourais choisir d'avoir et que j'ai déjà eu me laisse ce goût amer du regret en fin de compte ... le regret d'avoir choisi de vivre à moitié à défaut de vouloir penser pleinement autrement une autre façon de vivre plus entière.
Bien sûr ce n'est que ma vision des choses et je ne peux demander à personne de la partager ... j'ai juste envie de l'exprimer pour que je ne sois pas toujours son seul interlocuteur et surtout parce que l'essentiel de l'enseignement, à mon avis, vient de l'échange avec l'autre : on ne peut prétendre se positionner dans le monde sans le faire relativement à ce qui le constitue, soit donc les objets et autres êtres vivants ... positionnement physique avec les corps et spirituel et affectif avec les êtres vivants comme je l'exprimais hier ...
Voilà, je crois que j'ai exprimé beaucoup de ce qui occupe une bonne partie de mes pensées et que je garde généralement pour moi parce que je ne vois pas beaucoup d'ouverture pour l'exprimer au quotidien ... soit que cela paraît trop philosophique à ceux qui aiment parler politique, finance ... soit que cela paraît trop peu argumenté pour ceux qui aiment parler philosophie universitaire et littérature ... soit que ça paraît trop barbant ou sérieux à ceux qui aime vivre de légèreté en chaque instant ... je ne juge ni les uns ni les autres, je m'exprime et y répondent ceux qui le souhaitent ... ici je ne m'impose pas et c'est pour ça que je me permet de l'exprimer parce que le lecteur est libre de suspendre sa lecture alors que l'interlocuteur se sent parfois forcé de "subir" notre discours ou d'y trouver une réponse ...
Hum ... encore un live un peu long mais bon, un post ne s'arrête que lorsque l'idée est exprimée dans son entier n'est-ce pas ?
Commentaires :
Re: Bouddha disait :
Que rajouter de plus après un commentaire si riche sinon que je Songe bien à revoir l'ami Songe très bientôt. Revient laisser des traces chez moi, ça prouve au moins que la vie est là. En te remerciant de tes pasages furtifs mais riches, ô combien...
A très bientôt.
NikkO
Re: Re: Bouddha disait :
Je seais sincèrement heureux de vous revoir quand vous le souhaiterez mon cher NikkO et je serais heureux de semer quelques petites graines chez toi si, en les arrosant, tu y fait fleurir la vie :)
En te remerciant de ce post qui me réjouit sincèrement !!!
A bientôt oui :-)
Songe
Re: Bouddha disait :
Je suis heureux de trouver tes riches commentaires en réponse à mes posts et je ressens très fort, particulièrement ce soir, les paroles sages de bouddha.
Oui, le cheminement est ardu, difficile, fatiguant et il s'y trouve bien peu de gens pour l'arpenter ... mais je crois que pour celui qui en voit l'importance, il est difficile après d'imaginer un autre sentier. C'est un chemin qui prend ceux des autres en diagonale, les croise et s'en sépare pour suivre la direction de l'essentiel.
Tu ne t'égare pas du tout et je t'invite à poursuivre tes réflexions aussi longuement et tortueusement que tu le souhaites :o). On échappe à son quotidien qu'en échappant à l'habitude ... or échapper à l'habitude c'est choisir l'itinérance, l'errance affective, physique et intellectuelle je crains ... je ne sais si un tel prix trouve récompense aussi grande !
Je me méfie des esprits éclairés qui montrent du doigt parce que pour un endroit où se focalise l'attention, on néglige d'en considérer bien d'autres qui recquièrent notre attention ...
Ce n'est peut-être pas tant un conditionnement qu'une sécurité qui nous fait choisir le chemin entre vertu et vice plutôt que de propsecter systématiquement la vertu et réprimer le vice ... sécurité affective essentiellement oui ...
J'espère que mes réflexions spéléologiques n'auront pas fait naître de réflexions trop tourmentées chez toi ...
Re: Re: Bouddha disait :
Phérine
Bouddha disait :
Très sages paroles que j'ai recopiées sur mon petit carnet de citations car elles me touchent et se rapprochent de moi.
L'homme est un être dans une société donnée à un moment donné. Lui seul à la capacité soit de vivre en "parfaite" harmonie avec les valeurs dispensées par cette même société ou du moins à les accepter comme des axiomes. Ou il peut par sa seule réflexion, ses propres expériences, ses sensations s'écarter de ces valeurs et trouver son chemin propre.
Ce cheminement plus long, plus dur lui permettra de se démarquer des autres. Quoiqu'en prenant cette société comme repère cela peut au contraire l'ancrer plus fermement dans la société. Puisqu'il appliquera des contre-valeurs.
Aussi, faut il tenter de faire abstraction de tout notre savoir, de toutes nos valeurs, du système dans lequel on vit pour trouver sa propre voie.
Seulement pour cela, encore faudrait il échapper à notre quotidien, car bien que vivant sans montre, sans agenda, regardant peu la TV, la nécéssité de choses bassemment matérielles me pousse tous les jours à prendre le chemin du travail (quasiment à la même heure - à savoir toujours en retard mais ce n'est pas pour autant que je cours). Certes combien de fois, je voulais tout foutre en l'air et partir loin de tout (à l'étranger, dans un couvent -si, si), pour me détacher de toutes ces influences qui nous poursuivent tous les jours. Propagande partout -déguisée mais omniprésente "ce qui vous rendra heureux? Le nouvel ordi de chez MICROS..., le dernier yaourt de chez DAN..., le nouveau voyage dans le superbe complexe 25000 chambres vue sur mer et très loin de la misère, ... = monnaie ton bonheur, la société de consommation rend heureux!!! "Regarde les pays du sud", "sont pauvres", "sont (donc) malheureux", "nous grande puissance du nord on les domine et on les maintient sous notre joug dans cet état pour ne pas avoir à partager nos parts de marché s'ils se développent"... ARGGGG je m'égare...
Ceci dit l'homme est facilement maléable et l'histoire l'a combien de fois prouvé!!! Conditionnable... Heureusement qq esprits isolés savent montrer du doigts les dysfonctionnements (on dira bientôt les bugs -ortho?) de notre société.
Suis d'accord avec toi...
Parfois des éclairs de lucidité (ou peut-être de démence) me font prendre conscience de l'absurdité de beaucoup de chose. On s'impose trop de contraintes... Ex: absurdité de ma rupture : quitté mon ami car va prendre une colloc avec une fille = si on retire mon vécu + les "normes sociales" bien ancrées en moi, c'est absurde. Pourquoi un homme et une femme ne pourraient vivre ensemble sans pour autant former un couple. Encore et toujours les valeurs imposées par notre éducation: Ca ne se fait pas.
Mouais suis trop conditionnée moi et je ne dirai pas que le dernier petit pull de chez machin chose ne me ferait pas plaisir... Je dois compenser le vide émotionnel par le trop plein matériel. (quoique j'ai pas une thune pour le faire actuellement!!! lol)...
Ca devient long là...
Je te laisse à tes réflexions profondes et retourne dans les miennes bien embrouillées maintenant...
Phérine