Oedipe au rabais (le 12/10/03)
Ce soit j’avais envie de rendre une petite visite à un Œdipe vieillissant et radotant … le pauvre, depuis qu’il s’est aveuglé, est très sollicité …
Elle s’est assise doucement sur mon canapé, comme avant … avant qu’elle ne se sente trahie, avant qu’elle ne veuille plus discuter, avant que je ne trouve comme moyen de lui parler que celui de m’éloigner d’elle …
De lui dire quoi au fond ? Qu’elle n’a pas le droit de vouloir que je sois différent d’elle, que je m’écarte du chemin qu’elle a suivi … j’ai trahi son espoir, celui que son errance ne serait pas la mienne. Mais avait-elle le droit d’avoir cet espoir, avait-elle le droit de croire que je suivrais le chemin qui mène en droite ligne vers l’horizon, celui où la souffrance ne m’attend pas à chaque virage ? Avais-je d’autre moyen de le lui dire que d’anéantir son espoir, que de saboter ce pont qui semblait encore pouvoir m’amener à m’engager sur la route sans détours ?
Cette lucidité, ces mots crus, cette ouverture, cette profondeur … elle m’est si proche …
Doucement elle me dit qu’elle a compris même si l’amertume souligne son regard, empreint sa voix … elle me dit qu’elle ne s’immiscera plus dans ma liberté, elle me dit que ses pas n’essaierons plus de pousser les miens …
Le dialogue est rouvert, nos mots peuvent réinvestir les heures comme avant …
Elle a repris ses dépendances … je le savais, comme moi elle ne peut vivre sans cet autre qui emplit son âme comme le ciel s’emplit d’étoiles à la nuit tombée. Comme l’aiguille de la boussole, il lui faut garder ce nord où déposer son affectivité … il lui faut cet aimant pour exister, pour donner sens à ses jours …
Elle a tant de chaleur dans le cœur que personne n’a su ou n’a voulu prendre alors qu’elle la déversait dans chaque chose qui l’entourait … et comme le feu qui ne trouve que la surface lisse de la pierre, elle s’est réfugiée dans ses braises où à l’abri du jour elle se protège du souffle du temps … comme moi elle existe dans ce qu’elle donne …
Elle a tant de douleurs passées dans l’âme de n’avoir trouvé les mains qui sauraient sculpter sa fantaisie, sublimer ses envies … et comme l’animal blessé, elle soigne ses plaies avec le temps, dans son abri de fortune … comme moi elle se fane les jours où il n’y a de réceptacle à son don de soi …
Elle et moi on a toujours été ensemble, nos âmes sont soeurs … elles ont partagé tant de mots, tant d’affection … elle est celle dont je connais le mieux l’âme, les besoins, les manques, la douleur, la vie … mais elle est celle à laquelle je ne pourrais jamais répondre ...
Elle est ma mère …
Et j’entend Œdipe qui élève la voix sournoisement : il aimerait tant que sa faute soit celle de l’humanité tout entière, il aimerait bien dire qu’il n’est pas seul … mais je ne lui répondrais qu’une chose …
Je ne peux rien pour elle parce que je l’aime … comme MA MERE …