L'émotion (20/10/03)

Bon, il faut quand même que j'écrive, après plusieurs tentatives infructueuses ... écrire pour tenter de dégager ce qui m'accroche les basques comme un authentique résidu d'activité masticatoire et s'y imprime en toute insolence comme pour me river à la fois au sol et s'emparer en même temps de la plante de mes pieds ...

En fait c'est une interrogation sur le "pouvoir des mots" qui m'amène à la réflexion qui suit ... il est indéniable que les mots qui se déposent sur ces pages ont un pouvoir émotionnel ... mais ce qui m'intrigue c'est cette perversion de l'émotion qui se fait subtilement à côté.

Le pouvoir de séduction a un attrait positif comme il a aussi sa contrepartie négative et de même, les mots qui en usent portent en eux les germes de ces deux tendances opposées. Le négatif dans la séduction est cette falsification de l'émotion, ce jeu auquel on se livre et dont a fait un art : celui de programmer et calculer les émotions; à première vue on pourrait me rétorquer que l'essentiel au bout du compte est l'émotion, que la fameuse "fin" justifie les "moyens" mais au fond je ressens comme un malaise à voir surgir une émotion d'un calcul plutôt que d'une autre émotion ...

Là où je veux en venir c'est qu'il y a des mots simples qui parfois recèlent une émotion forte, sincère, palpable là où des mots ampoulés, enjolivés, arrangés et voulus ne font que créer une émotion artificielle; je crois que pour faire naître une émotion forte par ses mots il faut avoir cette émotion présente à l'écriture ... or à trop copier l'émotion initiale avec des mots similaires je crois qu'on entretient une flamme ardente avec de l'alcool à brûler. L'essentiel n'est pas de dire 100 fois "je t'aime" mais de le dire une fois avec une émotion décuplée 100 fois; sinon on obtient un refrain qui perd de sa vitalité peu à peu ... c'est un peu comme ces mots qu'on se dit et se redit en affirmant et réaffirmant son amitié, son amour, son admiration ... et qui deviennent plus une habitude qu'une conviction. Tous ces "je pense très fort à toi", "je t'adore", "je t'aime par dessus tout" qui sont répétés en boucle et deviennent un laïus qui souhaite affirmer un sentiment mais le fait sans émotion. Ce qui donne leur valeur aux choses c'est leur singularité pas leur répétition : souvent les relations meurent de ne pas assez renaître ...

Mais souvent les gens s'accrochent à la singularité initiale, s'essouflent jour après jour à maintenir l'illusion que "rien n'a changé" entre eux mais au fond, par cette attitude, ils s'interdisent toute réflexion dans le sens d'une réinvention quotidienne des relations, la découverte des émotions que peut contenir chaque jour que l'on réinvestit d'un nouveau souffle. En fait j'ai eu l'impression d'en voir l'illustration sur le joueb où il y a cet engouement initial autour de ceux que l'on découvre, qui nous captivent par leur singularité qui finit par lasser ensuite soit ceux qui sont l'objets de toutes les attentions soit ceux qui ont ces attentions. A trop parler d'amour et d'amitié on en oublie finalement de les exprimer avec l'émotion de notre écriture ... d'ailleurs ça compte aussi pour les peines et les douleurs qui finissent par être tellement évoquées comme un acquis pour tous qu'elles ne sont plus véritablement exprimées dans toute leur intensité. Cette constatation m'a fait prendre conscience comme il est important de toujours redonner son souffle à notre présence quand les autres s'essouflent et de saisir celui des autres quand c'est le notre qui s'éteind. Dans un couple on dit souvent que c'est l'habitude qui tue les sentiments mais je pense personnellement que c'est "faire de la singularité une habitude" qui tue l'émotion et, à terme, les sentiments (dont l'intensité dépend de la force de l'émotion). L'amour est fort quand il est le partage d'un sentiment fort, soit donc de belles émotions ... c'est pourquoi, à trop vanter l'amour et l'amitié on finit par oublier l'essentiel : c'est un pas empli d'une émotion toujours nouvelle qui entretient ce lien émotionnel entre les êtres ...

Le raffinement de la séduction pour moi ce n'est pas ce jeu qui se targue de faire naître l'émotion avec des artifices, c'est plutôt de savoir séduire avec sa propre émotion, se drapper dans la beauté de celle-ci pour en revêtir l'autre ...

L'amour, l'amitié, l'affection, la tendresse sont des pas que chacun doit faire en chaque jour vers l'autre en préservant l'essentiel de ce qui rapproche nos êtres : l'émotion qui fonde ces relations !

On ne réssuscite pas un baiser avec des bisous, une amitié avec des poignées de mains, une affection avec son souvenir ...

Voilà, ce sont ces mots, ce sont ces sentiments qui contiennent mon être mais c'est l'émotion des derniers jours qu'il expriment ...