One day on earth ...

"L'âme est dans le corps comme un pilote en son navire" nous a dit la philosophie grecque ... je sens en cette période de ma vie, ces jours-ci, comme il est décisif pour le pilote d'emprunter enfin sa route à travers les esquifs en s'attachant aux étoiles. Il y a de ces jours où l'émotion est un flot dense qui vient se briser avec force contre le flanc de notre coque et où la manoeuvre qui mène au havre paisible est délicate ...

Comme le marin qui serait parti de son port natal avec l'image d'un havre à l'arrivée, j'ai vogué longtemps sur les flots de la vie, empli d'incertitude quant à la réalité de mon aspiration, je me suis laissé dériver de peur qu'hisser les voiles sans certitude ne m'amène à les déchirer avant le jour où elles auraient ce besoin d'être déployées ... comment être certain que ce havre existe quand vous n'avez jamais fait escale que dans des ports ? Comment penser qu'un tel lieu s'il existe puisse accueillir celui dont les voiles repliées cachent l'embarcation entre les vagues ? Comment croire que les étoiles qui guident notre route ne sont pas un choix arbitraire qui ne nous mènera jamais qu'à courrir des chimères sur l'écume ? Il manquait au marin ce chez soi, cet endroit où il pourrait accoster et se dire que ce foyer est le sien et répond pleinement à sa nature ...

Mais aujourd'hui, une vague moins haute qu'une autre m'a laissé entrevoir l'existence de ces havres ... je sais que souvent j'ai pensé voir un havre là où je n'ai trouvé qu'un port de plaisance mais je crois qu'un beau jour on apprend à voir au-delà des mirages que nous offre l'air salin. Comment mesurer l'importance de cette certitude manquante à ce jour et qu'un accostage m'a amené à avoir ? L'important n'est pas de trouver "son havre", ce qui nous amène nécessairement à produire des exigences (qui finissent probablement toujours par être déçues), mais à trouver ce quai où l'amarrage correspond à la forme singulière de notre navire et où l'accueil se fait dans le langage du pilote ... après je crois que chaque pas posé dans ce lieu doit être détâché de tout a priori et se déterminer en chaque instant de la visite et non par rapport à une carte postale achetée par avance.

Quelle est la nature de ma certitude alors que je mets un point d'honneur à tout remettre constament en doute ? Je crois que lorsque le marin voit que son intuition suit les bonnes étoiles, il se laissera sereinement aller, par la suite, à les suivre sans hésitation, avec détermination ... la mer est changeante, le pilote a ses humeurs en fonction de celles-ci mais aujourd'hui je veux croire qu'il puisera assez d'énergie en chaque jour pour ralier chaque port qui demande ses marchandises et se ressourcer paisiblement, sans craintes, dans la seule pensée qu'il existe de ces havres où on nous attendra et accueillera toujours sur la grêve ...

Les flots sont tellement tumultueux ces derniers jours et les ports tellement assaillis, que je saisis qu'il est temps de hisser les voiles et voguer sans crainte d'être démembré par le courant ou précipité par dessus bord dans une fausse manoeuvre ... le temps d'errance est terminé, les fissures de la coque et les plaies du pilote seront, je pense, à l'abri dans des carrés de toile prélevés sur les voiles, en attendant de trouver des soins discrets dans les havres.

Le pouvoir du mot est grand mais celui de l'acte est incommensurable : si le mot est précieux, l'acte qui le met en oeuvre est inestimable ... il est temps que mes voiles poussent mon embarcation dans la direction à laquelle aspire profondément le pilote.

A présent j'ai quelques ports où mon coeur désire déposer les biens précieux qui gisent à fond de cale ...