Indigestion (le 11/05/03)

Ce texte a été rédigé en mai 2003 et si je ne changerais en rien le fond du texte je sais que si je devais l'écrire aujourd'hui je tempérerais le ton car il me semble qu'à la violence n'est répondu que la violence ... (cependant je conserve ce ton pour les jours où je jugerais que ma liberté ou celle de mes proches aura été outrepassée excessivement et où il me faudra la revendiquer de pleine voix).

« Association d’égoïstes » ? Je crois que Stirner n’aurait jamais imaginé à quel point cette idée pourrait être présente dans le principe actuel de fonctionnement de la société et à quel point celle-ci perd en humanisme chaque jour où elle soumet à son dogme globalisateur l’humanité toute entière. Cette société est un ogre !!! Ses incisives se saisissent des individus, des groupes ethniques, des micro-sociétés … , tranchent au hasard puis laissent les canines déchirer avidement tous les tissus culturels, les nerfs d’authenticité, les chairs de la vie pour laisser toute cette énergie saccagée et violée être indifféremment mastiquée par les molaires de la mondialisation, la globalisation libérale ; toute cette diversité avalée goulûment et qui ne subsistera qu’à jamais dénaturée dans les souvenirs de hordes touristiques boulimiques (en réponse à une longue anorexie identitaire ?) lancées, comme le cheptel du tertiaire, sur les vestiges du grand festin des civilisations ; des reliquats rescapés de l’insatiable appétit de l’humanité …

Et a-t-elle encore une indigestion, d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre, qu’elle vomit simplement le surplus dans des spasmes de rage guerrière et dévastatrice avant de retourner, inconsciente, se regoinfrer de plus belle en attendant le jour de son ultime crise cardiaque !

Aujourd’hui on a trouvé une réponse à la famine : « vous avez fin ? Et bien, mangez tout simplement vos voisins, vous n’en aurez que plus à manger aujourd’hui comme demain … quant aux principes, ça ne nourrit pas son homme après tout, n’est ce pas ? »

C’est aussi simple que ça : les pays libéraux sont classés en fonction de leur appétit comme l’on classerait les restaurants sous des petites étoiles qui ne brillent que par l’éclat de leur vaissellerie et de leur faste insolent au regard des pauvres bougres qui triment en arrière cuisine ou dans le garde-manger du tiers-monde !!

Parfois, je me sens vraiment comme l’un de ces explorateurs auxquels les anthropophages serviraient le corps de leurs prédécesseurs  et qui, par nécessité vitale, devraient s’en nourrir … l’impression que dans le pain que je mange, la mie est imprégnée « du sang, de la sueur et des larmes » de ceux qui sont dévorés par les sucs gastriques du capital, lentement, invariablement et tragiquement : des insectes sur lesquels s’est refermée la gueule attrayante du crocodile !!!

A trop sentir la famine des autres, j’en perd souvent l’appétit moi-même et je suis consterné de voir ceux qui se goinfrent avidement me dire : « nourris-toi mon pauvre, t’es tout maigre, oublies ces pauvres hères, fais comme nous et passes à côté en portant le regard au-dessus de leurs corps recroquevillés au long des trottoirs de nos vies et tu t’en sentiras mieux tu verras … ».

Quel cynisme !!! Quelle infamie !!! Ces pauvres hères en question ne se nourrissent pas que d’un bout de pain et trois rondelles de saucisson, leur âme a également besoin de considération il me semble … on en viendrait presque à s’apitoyer plus sur un pauvre petit chien maigrichon qu’on recueillerait et nourrirait consciencieusement !

La barbarie ? Mais elle est là, dans nos villes, dans les cœurs de ceux qui s’achètent une téloche à 40000 balles et ne condescendent pas un regard à leurs « pairs » qui dépérissent dans nos caniveaux …

Eh oui ! Ne vous en déplaise, j’ai une conscience et j’y tiens ! C’est ma marque d’authenticité, c’est ma manière de dire que j’appartiens à une société et que je me sens une responsabilité pour chacun des individus qui la composent ; non pas que je voudrais reprendre la leur à mon compte mais plutôt que je ne veux pas creuser la tombe de ceux qui, comme moi, appartiennent à cette société qui s’est un jour revendiquée « des Droits de l’Homme » et qui porte sous ses drapeaux l’inscription « Liberté, Egalité et Fraternité ».

Je ne suis pas heureux mais je ne conçois pas non plus que mon bonheur puisse découler d’une volontaire inconscience et insouciance : je préfère conserver ma gravité qui me laisse les pieds rivés au sol souillé du sang caillé des civilisations antérieures que de m’adonner à une légèreté qui me porterait au-delà des champs de bataille, les yeux perdus dans l’azur et le dessin confortables des volutes nuageux … ils seront tout surpris les ptits oiseaux insouciants et gazouillants lorsqu’ils verront leurs plumes voler et la douleur poindre avec l’impact de la balle du chasseur !

 Je me range du côté des diététiciens qui pensent qu’il est temps de rééquilibrer un peu le régime alimentaire de l’humanité avant qu’elle ne succombe à sa gourmandise …