L’écriture

Ce texte a été écrit dans ces moments où l'écriture était le seul témoin de ma solitude, elle continueras toujours de représenter pour moi quelque chose de très sérieux, d'intime ...  

La musique installée, diffusée dans mon être, comme un écrin à mes sentiments, les pensées se disciplinent un peu, apaisent leur ronde infernale, ralentissent le pas et viennent se ranger doucement sur l’aire d’envol … cueillies au vol, elles laissent la plume les coucher sur le papier, les doigts les déposer sur le clavier … les émotions deviennent des mots, les sentiments des phrases, l’humeur un texte et c’est tout mon être qui s’exprime dans l’écriture ; chaque émotion à son mot, chaque sentiment ses métaphores, chaque texte son style et l’écriture son sens … la forme n’est pas voulue, elle est exprimée, elle s’impose d’elle-même au fur et à mesure ; il n’y a pas plus de préméditation à mon écriture qu’il n’y en a aux pensées qui l’ont amenée. Le contenu se déroule avec le cours de mes pensées : mes pensées se bousculent, s’accumulent et restreignent l’avancée des suivantes … ce sont donc les mots qui les libèrent, les assurent de leur survie et favorisent l’enfantement des suivantes. Les pensées sont à l’image de la danse macabre qui entraîne avec elle les cadavres et mêle la mort à la vie :  l’avenir attaché au passé dans un cercle vicieux ! Les mots sont ces fossoyeurs qui offrent un tant soit peu de repos à nos cadavres et ces guides qui éclairent un peu le chemin de la vie … chaque pensée trouve une place où se fixer sans que le terrain ne lui soit de suite disputé par une autre.

L’écriture est l’expression de mon authenticité, de ma nature profonde : elle me dit à un instant donné, pleinement et sans mensonges … je n’écris pas pour être lu, à cet instant là, ni dans la perspective d’une future lecture d’un tiers, j’écris par besoin pressant de m’exprimer. J’écris pour moi, pour m’offrir une définition de ce que je ressens afin d’en faire le point de départ d’une réflexion future, d’en faire un ancrage pour mes pensées suivantes : j’écris pour ne pas demeurer dans la mare de mes pensées stagnantes, pour libérer celles-ci et en irriguer les champs de mes errances  et y faire éclore quelques certitudes éventuellement.

L’écriture, si elle ne remplit pas les vides laissés par les dépenses quotidiennes, soulage le poids que fait peser la prise de conscience de ces vides sur notre âme … l’écriture me permet de donner un relief, une concrétisation de ce poids, me permet d’en discerner mieux la nature et éventuellement le minimiser par la suite.

S’il en va un peu de même dans l’écriture aux autres, l’enjeu est autrement plus important puisqu’il ne s’agit pas de soulager l’autre d’un poids et de se l’approprier à son tour ou encore de se décharger et imposer ce poids à l’autre … si la relation à l’autre ne suffisait pas à faire disparaître le poids, il me semble qu’il soit possible de partager le poids entre les deux par un accord tacite … malheureusement j’ai l’impression que bien souvent les gens prétendent partager notre poids mais ne font que nous ajouter celui de leur incompréhension.

En  ce qui concerne les formes d’écriture, on m’a fait remarquer que je chargeais beaucoup ma poésie parfois … la poésie est pour moi une expression de ma nature passionnée, de ma sensibilité plutôt que ma rationalité, de mes extrêmes en fait; la poésie se pose en médiatrice de mes sentiments lorsque j’ai le désir de suggérer les choses, lorsqu’il s’agit d’une vision intime de celles-ci plutôt qu’une réflexion à valeur générale. Et si je charge la poésie, c’est par volonté de dire pleinement les choses, de façon imagée …

L’écriture est ce moyen de m’exprimer alors que le quotidien ne me le permet pas, c’est ma manière d’être authentique en ne cachant pas ce que j’écris aux autres (sauf lorsque cela me rend trop vulnérable à leurs réactions) … je ne m’affirme pas au quotidien de peur de m’imposer aux autres mais je m’affirme et m’implique intimement dans l’écrit car chacun est libre d’en faire la lecture ou non, d’y répondre ou non …

Le 26 mars 2003