La lecture

Ce texte a été écrit dans ces moments où je cherchais un répondant à ma solitude dans les pensées, les écrits les mots des autres.

Après l’écriture, la lecture … j’ai un rapport très ambigu à la lecture depuis quelques années … il y eut un temps où je lisais à tour de bras, où je dévorais roman sur roman, d’abord du policier puis du fantastique … aujourd’hui il me faut à chaque fois produire un effort pour ouvrir un livre ou lire spontanément quelque chose … je ne finis presque jamais les livres que je commence, romans, essais ou autres … non pas que je perd l’intérêt pour ce que je lis mais plutôt que quelque chose me bloque dans  le geste qui va au livre ; si je devais trouver une explication à cela, j’aurais tendance à croire que j’ai fait une overdose de mots, que mon besoin d’interaction aux autres réprime tout ce qui ne va pas directement et immédiatement dans ce sens. J’avoue que la chose rend les études de philosophie assez pénibles … il ne s’agit pas de se forcer à lire par ailleurs : je perd très rapidement l’attention pour ce que je lis et m’endors sur mon ouvrage quelle que soit la position que j’adopte …

En revanche, j’ai un grand intérêt à lire quelque chose qui vient de quelqu’un d’autre … j’aime dégager dans ce qu’il écrit, lit, aime, ce qui fonde sa nature, ce qui suscite ses émotions, exprime ses sentiments. Je suis fasciné par tout ce qui m’offre une possibilité de dégager une cohérence du comportement de l’autre, tout ce qui me permettrait de faire ressortir une logique de sa nature ; une sorte d’analyse psychologique si on veut, excepté le fait que je ne veux m’enfermer dans aucune structure mais plutôt me former une conception intuitive, sensible d’autrui, destinée à évoluer avec ma connaissance de lui et de son évolution … j’aime saisir les gens au travers de leurs expressions, ça me permet d’être attentif à eux (dans la mesure de mes possibilités) et répondre éventuellement à leurs besoins, attentes, interrogations ; en effet, trop souvent, ce qu’on croit être des attentions aux autres ne sont autres que des réponses très égocentriques à la vision qu’on se sera formée d’eux. Je ne veux pas faire de fausse-modestie et il me semble que j’ai une certaine sensibilité pour certaines choses et qu’en étant attentif à ces choses, le bien que je leur fait est un bien que je me fais à moi. Je souffre beaucoup de l’égoïsme et au fond de moi je ne pense pas l’être même si, comme beaucoup de monde, j’y recoure pour me protéger … 

La lecture est pour moi quelque chose qui enrichit ma vision du monde et me donne un accès à ce qui se trouve au-delà de celui-ci, ce qui échappe à ses normes et nous en fait rêver d’autres … un roman fantastique (une bande dessinée)  reste pour moi une métaphore vivante d’idéaux, de valeurs, de vertus ou encore de leurs contraires qui m’amènent à dépasser la réalité et à envisager constamment la possibilité d’un autre ordre pour les choses, à ne pas rester figé dans ce qui existe ; un écrit documentaire enrichit ma connaissance du monde, diversifie les points de vue sur celui-ci et m’offre un sens critique vis à vis de celui-ci ; un essai psychologique, philosophique ou autre m’importe avant tout comme l’expression d’un sujet, d’une conscience, me donne un autre angle de vue sur les choses, me permet de dégager mes préjugés et a priori …

Mais le savoir en lui-même ne présente pour moi que d’intérêt dans la perspective d’une utilisation pratique : j’apprend à me connaître au contact du monde et des autres afin de vivre dans la meilleure harmonie avec ceux-ci et avec moi-même, selon ma nature. Etre attentif aux gens et aux choses pour se placer là où on ne viole pas leur territoire et où se sent le plus en accord avec sa nature propre, voilà ce qui me semble le plus sage … pour cela il me faut connaître à la fois les autres, les limites de leur domaine et, dans la mesure du possible, l’état qui me convient le mieux.

Actuellement, lire est pour moi un moyen et non une fin en soi, c’est ce qui fait que je lis si peu je pense : j’ai du mal à passer par les moyens quand je vise une fin …

26 mars 2003